Chroniques : SUBOKO - Ritte Ritte Ross 02

Dans le fond, le décor est ici juste posé. Pas de dessin gravé pour
guider, par de message surligné pour orienter. La musique de Suboko
(trio de batteurs ne jouant pas de batterie né en 2005) est une
hypothèse. Evidente ou transparente selon le jour, selon l'humeur. Un
palais des glaces plongé dans le noir. C'est qu'ici le brasier est
interne, dans les âmes . D'un bout à l'autre de ce premier album pour
le label strasbourgeois Ritte Ritte Ross, les rythmiques creusent de
façon progressive et inéluctable une saignée dans une terre sillonnée
par des sonorités aussi bruyantes que bourdonnantes. Le vent souffle,
les vagues mugissent, les orgues de brume comptent l'histoire de
spectres déchus. Des bruits sourds de résonance métallique, des
percussions tombant comme des giboulées, des guitares grésillant de
colère, des apparitions divines classiques surgissant de l'obscurité.
La musique de Suboko propose une véritable transe rituelle ciselée de
tension latente où chaque seconde semble receler un danger ou une
échappatoire, entre Swans, Sunn o)), John Zorn, Bill Laswell, Radian
et Einsturzende Neubauten .

Station Service Strasbourg (Laurent Guerel)

Contrairement à ce qu’évoque son nom, le label strasbourgeois Ritte Ritte Ross ne fait pas dans la comptine germanophone. Deuxième référence à son catalogue (si toutefois il en existe vraiment une première), le disque de Suboko s’inscrit d’avantage dans un lignage industriel ténébreux bordant sur l’improvisation électroacoustique. A essayer de deviner qui se cache derrière ce projet, les notes de pochettes s’avèrent particulièrement inutiles. Si l’on apprécie de savoir que des rapaces sont en charge du mixage et du mastering (faucon nocturne, aigle noir), il faut aller traquer sur Internet l’identité des membres du groupe. Sous les sobriquets de Bouto, Gully et Regreb se dissimulent vraisemblablement Nicolas Boutines (DJ et multi-instrumentiste réconciliateur de genres), Pascal Gully (batteur du quartet klezmer-jazz-funk Zakarya) et Laurent Berger (occupant une fonction similaire mais au sein des plus expérimentaux Sun Plexus) ; tous percussionnistes à des degrés divers et chacun rentrant difficilement dans une case stylistique bien définie. A l’arsenal de peaux et de métal viennent donc se joindre électronique, platines et objets divers pour former l’enchevêtrement sonore qui nous est donné à entendre. Bruissements sidérurgiques omniprésents, lointaines atmosphères orageuses, drones gutturaux, bruit de fond qui devient tension de surface forment la matière première du trio qui n’hésite pas à fourrer le tout de quelques bribes orchestrales quand il ne cède pas à la tentation du martellement mécanique ("Loo"), de la débauche d’énergie free rock ("Kazemat") ou de l’affectation électro-gothique ("Tarare"). Intéressante mixture où convergent différents parcours, la musique de Suboko propose une recette alsacienne de dark ambient qui ne pédale pas dans la choucroute.

Octopus

Suboko est un trio né en 2005 de la volonté de trois batteurs de la scène strasbourgeoise de s'émanciper – au moins partiellement – de leur instrument qu'ils promènent, au sein de leurs formations respectives (Sun Plexus, Zakarya, Drey …). L'aventure commença surtout par l'illustration de films muets ("Vampyr" de Dreyer, "La terre" d'André Antoine). Musicalement – et cela est peut-être renforcé depuis le départ de Xavier Fassion et son remplacement par Bouto/Nicolas Boutines aux platines – le trio se situe dans une pratique de l'électroacoustique qui embrasse aussi bien le dark ambient, la musique dite industrielle avec ses résonances d'ateliers (un peu à la Test Dept.), ou ses ambiances glauques d'usines désaffectées encore évocatrices de leur passé par les bruissements furtifs des percussions et des divers objets frappés.

Improjazz (Pierre Durr)